En intégrant le milieu de la musique, on prend vite conscience de la forte présence du machisme et de toutes les problématiques que ça engendre dans le monde du spectacle et phonographique. Parallèlement, nous assistons à différents mouvements de dénonciation ou de sororité créant ainsi des espaces sécurisés pour toutes les victimes et les artivistes afin de guérir, d’explorer et d’avancer vers un monde plus juste.

Aux yeux de certain.e.s, le féminisme et la musique ne font plus qu’un, l’un ne peut plus exister sans l’autre. Les victimes de sexisme, de bodyshaming, de racisme, de queerphobie ou encore d'agression sexuelle ne sont plus isolé.e.s. Iels sont interconnecté.e.s via internet, via des collectifs de solidarité et permettent ainsi de faire avancer le combat tout en s’informant et en visibilisant les luttes et les personnes mises à l’écart depuis un temps exagéré. Mais pourquoi cela dérange tant alors ? Nous ne sommes pas naturellement sensibles aux valeurs anti-discriminatoires et anti-violences ? Entre temps, on s’obstine à véhiculer une image dorée des personnes artistes et actives dans le milieu de la culture, en l'occurrence de la musique.

Longtemps les artistes et les personnes actives dans le milieu de la musique ont été porteur.se.s de symboles d’ouverture et de liberté des esprits. Depuis peu, les mouvements féministes révèlent au grand public la fausseté de ce mythe, car nous assistons à des dénonciations de violence, de manipulation, de sexisme, de viol, de racisme, de discrimination, etc. Dont nous avons tou.te.s fait l’expérience en tant que victime ou en tant que témoin durant les heures de travail ou durant les sorties entre connaissances du milieu.

Je suis assignée “femme”, et même si j’ai entamé mon voyage éducatif et libérateur depuis quelques temps, je demeure toujours exposée aux violences sexistes et machistes du milieu. En effet, les milieux intellectuels et artistiques existent et s’inscrivent dans un monde fondé sur un système patriarcal ancré en chacun de nous. Nous avons beau être, par exemple, artiste créatif, connu, anti-système et aux œuvres dénonciatrices, notre coeur et notre esprit sont imprégnés du monde et de l’air dans lequel nous vivons toutes et tous.

Par ailleurs, grâce aux mouvements féministes, nous avons enfin un mode d’emploi et une source d’information permettant de savoir à quoi nous participons ou ce que nous encourageons quand nous consommons de la musique, assistons à des concerts ou quand nous collaborons avec des personnes du milieu.

Les mouvements et les initiatives féministes dans le milieu musical

Comme nous l’avons mentionné auparavant, des espaces d’expression et d'entraide, réunissant notamment des femmes, mais aussi des personnes non-binaires, des hommes trans et toutes les personnes qui ne s’identifient pas en tant qu’homme cisgenre hétérosexuel valide, se développent de plus en plus sur la Toile et dans l’espace privé en général.

Le #MeToo musical :

Les hashtags #MusicToo, #Balancetonrappeur ou encore #ForTheMusic référencent sur les réseaux sociaux des milliers de publications dénonçant des violences commises dans le milieu ou manifestant la solidarité avec les victimes de ces mêmes violences. En vous y abonnant, vous suivrez l’actualité des mouvements (tels que les dénonciations qui mettent des artistes comme Roméo Elvis et Patrick Bruel face à leurs responsabilités), celles des affaires portées au tribunal (comme celle de Derrick May), ainsi que les artistes, et toutes les personnes actives du milieu de la musique, qui soutiennent les mouvements féministes et les victimes qui ont eu le courage ou le soutien nécessaire pour faire éclater la vérité.

À l’origine, #ForTheMusic a été lancé en septembre 2020 par la DJ Rebekah afin de dénoncer le harcèlement et les violences sexistes subis par les femmes et les personnes issues de la communauté LGBTQIA+ dans le milieu des musiques électroniques. Ce mouvement ne vise pas uniquement à dénoncer, car il vise aussi à obliger les organisateur.ice.s d’événements et les gérant.e.s de clubs à rendre leurs lieux plus sûrs pour leurs publics, leurs employé.e.s et les artistes qu’iels invitent. Cependant, cette campagne n’a pas vu le jour au mois de septembre 2020 par hasard. Effectivement, la grande star de la House Erick Morillo, accusé de viol par une DJ, a fini par avouer les faits après qu’on ait retrouvé son ADN sur le corps de sa victime. Cependant, Erick Morillo décède quelques jours avant son audience, prévue le 4 septembre, ce qui provoque la libération de parole d’autres femmes qui le dénoncent pour agression sexuelle. Nonobstant les faits relatés par les victimes et les faits avouer par lui-même, suite à son décès, Erick Morillo fait l’objet d’éloges sur les réseaux sociaux et certains vont jusqu’à diffamer ses victimes. Face à ces réactions du grand public, DJ Rebekah décide de réagir et de lancer le Hashtag #ForTheMusic.

Vous pouvez signez cette pétition pour soutenir le mouvement ici.

Comptes de sensibilisation et de dénonciation :

Les rassemblements virtuels de solidarité ne s’arrêtent pas uniquement aux hashtags. Effectivement, des pages Facebook ou Instagram, auxquelles nous vous conseillons vivement de vous abonner, permettent, pour certaines, de suivre l’actualité et, pour d’autres, de clairement identifier la violence de la réalité du milieu. On y découvre, entre autres, une infinité de témoignages de victimes de toutes les formes d’abus, de violences ou de discriminations prenant la parole anonymement via des comptes tels que

- Paye Ta Note : Témoignage de sexisme dans le milieu de la musique ;

- Me Too Music : Le mouvement MeToo spécifique au milieu de la musique ;

- Music Too France : Collectif anonyme contre les violences sexistes et sexuelles dans l'industrie musicale ;

- Change De Disque : Un projet qui lutte contre les problèmes structurels (rémunération, progression de carrière) et contre les violences sexistes et sexuelles systémiques dans le milieu de la musique ;

- D.i.v.a.infos : Informations et ressources sur le sexisme et les violences sexuelles dans l’industrie de la musique ;

- Madame Rap : Média français dédié aux femmes et aux LGBT+ dans le rap ;

- Balance ton DJ : Compte dédié à la libération de la parole des victimes de violences sexistes et sexuelles dans le milieu des musiques électroniques ;

- Provocative Women For Music : Branche féministe de PWFM, média et événements autour des musiques électroniques ;

- Tu mixes bien ... pour une fille : Compte dénonçant le sexisme ordinaire dans le milieu de la musique électronique ;

- Femal Pressure : Fondé par Electric Indigo, Female Pressure est un réseau transnational d’artistes Femmes, AFAB, transgenres, transfeminines, transmasculines, intersexes (+gender optional), genderqueer, gender nonconforming, agenres et/ou non-binaires dans les musiques électroniques et les arts digitaux.

Réseaux de sororité :

Il existe aussi des rassemblements porteurs de projets, d’actions et de réseaux tissant des liens de collaborations solidaires, notamment de sororité. Parmi eux, il y a le projet Shesaid.so fondé par la créatrice de connexions Andreea Magdalina. La communauté Shesaid.so a débuté en Angleterre et s’est agrandie depuis pour rassembler des membres aussi en Belgique, USA, Espagne, Italie, Inde, Turquie, Hollande, Autriche, Portugal, Afrique du Sud, Grèce, etc. Dans chaque pays, Shesaid.so est représenté par un groupe de femmes qui cofondent et gèrent les plateformes d’échanges sur les réseaux sociaux et coordonnent les éventuels projets Shesaid.so inscrits dans leur territoire, comme ça a été le cas pour le programme de mentoring Shegrows entre la France et l’Italie.

Il existe également une autre créatrice de connexion : Olfa Arfaoui, cofondatrice de la DJ Academy for Girl à Tunis, puis cofondatrice du réseau FeMENA de sororité dans l’industrie musicale inscrit principalement dans la région MENA. L’école de DJ pour femmes, qu’elle a cofondée le 8 mars 2018 avec La Fabrique Art Studio, a ouvert une nouvelle perspective à l’évolution de la scène électronique tunisienne. Avec le temps, le projet permettra de créer un équilibre des genres dans le milieu du clubbing en Tunisie et de lutter ainsi contre les injustices subies par les genres sous représentés. Quant au réseau FeMENA, qu’elle a aussi cofondé avec La Fabrique Art Studio, est un réseau rassemblant les compétences, les luttes et leur visibilisation, et qui intègre, au-delà du DJing, d’autres formes et expressions artistiques digitales, et ce à une échelle de la région MENA et de sa diaspora.

À Dubai, Megane Quashie AKA Megatronic et Nour Zaghloul fondent en 2018 Femxle First Sessions dans le but de créer des safe spaces spécifiques au Moyen-Orient pour soutenir et renforcer les liens professionnels entre les personnes s’identifiant en tant que femmes et les visibiliser à travers des showcases de concerts.

À Madrid, l'argentine Mar Cococ fonde en 2018 le collectif Cococsisters organisant mensuellement des soirées conviviales pour tou.te.s, avec zéro tolérance pour les comportements machistes, racistes, homophobes, transphobes, grossophobes et/ou tout autre type de comportement haineux. Les soirées Cococsisters, qui se déroulaient au Berlin Club et au Papaya Sky, ont été organisées, produites et animées par des femmes cis et trans de toutes les nationalités, et diffusant dans la capitale espagnole de la musique Disco, House et Soulful. Actuellement, les membres du collectif sont à la recherche de leur propre lieu indépendant pour poursuivre leurs événements dans un espace safe aussi bien pour les publics que pour les organisateur.ices.

À Berlin, le collectif Room 4 Resistance oeuvre à créer une communauté et un safe space festif visibilisant les artistes femmes, queers, non-binaires, trans, personnes non-blanches et toutes les personnes sous représentées dans la Dance Music.

Pourquoi ces initiatives sont-elles essentielles ?

Tous ces mouvements ont clairement des conséquences concrètes et importantes sur l’évolution de l’industrie musicale et la tournure de son histoire. D’abord, ils représentent une source d’informations pour toutes les personnes désireuses ou prêtes à déconstruire les schémas véhiculés par le système patriarcal. Les artivistes et les victimes partagent des témoignages et des outils concrets nous permettant de nous rendre compte des violences et des discriminations dans le milieu et d’apprendre à s’en défendre ou à s’en protéger. En comprenant nos droits ou même en découvrant la vérité concernant un lieu ou une personne, nous apprenons à consommer de l’art de manière responsable, ou à collaborer sainement s’il s’agit de professionnel.le.s de la musique. En nous rendant à un concert ou en se procurant un disque, nous visibilisons et nous participons à l’économie d’un lieu ou d’un.e artiste, d’où le rôle majeur que jouent les publics et les consommateur.ice.s des musiques.

Toutes ces initiatives développent des safe space permettant de développer les mouvements, et d’en créer de nouvelles, émanant des personnes actives dans le milieu. L’histoire de l’industrie musicale n’est plus soumise à une poignée de personnes intouchables, majoritairement des hommes. Après les mouvements undergrounds qui ont remis en question le système économique et artistique dominant pendant qu’il peinait à survivre dans l’ère d’Internet, nous assistons actuellement aux mouvements féministes qui font éclater la vérité sur toutes les violences et les dysfonctionnements du milieu professionnel. Nous prenons enfin conscience que, pendant longtemps, nous avons occulté les comportements dénigrant les femmes et les personnes aux apparences et aux genres sous-représentés, notamment la légitimité de leur professionnalisme. Soutenir ces mouvements c’est soutenir la création de safe space pour les professionnel.le.s du milieux et les publics des manifestations musicales. C’est aussi inciter le système et les politiques à suivre et s’adapter aux mouvements féministes. En outre, cela permet de soutenir les militant.e.s et les victimes du milieu qui font face aux diffamations ou à la récupération des luttes par les personnes qui continuent à protéger leurs privilèges.