Pour beaucoup, la contraception relève du domaine médical et scientifique. Dans cette logique, il parait évident que le sujet doit être traité par des professionnel.le.s de la santé. Pourtant, compte tenu des évolutions contraceptives de ces dernières années, notamment mis en lumière par le scandale des pilules de troisième et quatrième génération, la recherche en science sociale a commencé à s’emparer du sujet. Ce premier article cherchera donc à comprendre l’intérêt d’analyser le sujet de la contraception dans le domaine des sciences sociales et s’appuiera sur des rapports récents afin de savoir où nous en sommes aujourd’hui.
La pilule m’a très vite été prescrite par ma gynécologue pour des soucis de règles irrégulières et d’importants maux de ventre. Étant à l’époque peu informée, je n’ai pas remis en question ce choix et cette prescription. Pourtant, l’acte d’avaler un comprimé chaque jour n’est pas anodin, et encore moins naturel pour moi qui ai toujours fait en sorte de ne recourir aux médicaments qu’en cas de force majeure. Je l’oubliais souvent, malgré les alertes programmées sur mon téléphone portable et je ne me sentais plus aussi bien qu’avant, sans pour autant faire le lien avec la pilule contraceptive. Après trois années, j’en suis arrivée à la conclusion que j’étais inadaptée à la prise d’un contraceptif quotidien. J’ai choisi d’en parler à ma gynécologue qui n’a pas compris ma demande et m’a simplement parlé de la possibilité de changer de pilule. Face à cette incompréhension, j’ai pris la décision de me renseigner seule, par le biais d’internet, afin d’évaluer les risques existants à l’arrêt de la pilule et les méthodes entreprises par les femmes ayant vécu la même expérience que moi.
A la suite de cet arrêt, j’ai pris conscience de l’impact de la prise de la pilule sur mes humeurs. En effet, si la pilule met les hormones sur « pause », j’avais également le sentiment d’avoir mis en pause mes émotions pendant trois longues années. Cependant, cet arrêt s’est dans un même temps accompagné d’un dérèglement hormonal. J’ai parfois attendu plus de 50 jours pour avoir mes règles qui s’accompagnaient de maux de ventre handicapant mon quotidien, j’ai pris du poids, j’ai également constaté une plus forte pilosité. En somme, je retrouvais un corps dont je n’avais plus le contrôle. Je me suis alors tournée vers le milieu médical ou pour être plus précise, vers trois gynécologues qui avaient tou.te.s la même solution miracle : reprendre la pilule que je ne supportais pourtant pas. J’ai alors du faire face à un calcul coût/bénéfice inattendu : retrouver un cycle régulier au prix des émotions et d’une pilule que je prenais mal ou un corps sans hormone et surtout hors de contrôle. Pour ma part, aucun de ces deux choix ne me semblait acceptable. Je suis donc repartie sur internet et notamment sur les réseaux sociaux où se développait à l’époque un important courant d’empowerment des femmes, valorisant leurs expériences et leurs parcours gynécologiques, me permettant alors de constater que je n’étais pas la seule dans ce cas. J’ai pris la décision d’aller à l’encontre des avis des gynécologues en prenant rendez-vous chez une sage-femme, ayant aujourd'hui la possibilité de faire le suivi gynécologique des femmes au même titre que les gynécologues ou les médecins généralistes. Elle a pris le temps de m’écouter, de me connaître et m’a prescrit plusieurs examens qui ont révélé un syndrome des ovaires polykystiques, difficilement détectable sous pilule.
Cette expérience a été l’occasion pour moi de m’informer, de lire beaucoup de témoignages de femmes ayant vécu des expériences similaires à la mienne, constatant ainsi une certaine banalisation des violences vécues dans le milieu médical notamment en matière de contraception et de gynécologie. De la même manière, j’ai pris conscience de mon manque d’informations concernant la contraception, mais également plus généralement concernant mon corps et mon cycle hormonal. Cette expérience m’a ainsi permis d’acquérir des connaissances sur le sujet et a fait naitre en moi le désir d’aborder ce sujet sous l’angle de la recherche en science politique. En effet, je viens de terminer un mémoire qui s’intéresse aux femmes qui ont décidé d’arrêter la pilule et ai la volonté de poursuivre cette recherche en thèse. Ce mémoire a été pour moi l’occasion de découvrir un grand nombre d’articles de recherche en sciences sociales traitant de la contraception, riches en informations et pourtant sous utilisés. J’ai donc choisi, à travers ces petits articles, d’en présenter quelques uns, et de vous donner envie d’y jeter un oeil.
Au-delà de la richesse de ces articles qui permettent de traiter la contraception sous l’angle de la domination, tant du point de vue des inégalités contraceptives entre femmes et hommes, que du point de vue de l’expérience médicale qui met en lumière un rapport de domination médecins/patientes, la recherche en sciences sociales est également un moyen d’empowerment pour les femmes. Elle permet d’accéder à une information complète et met en évidence la possibilité de sortir de ces schémas de domination présent jusqu’au niveau de la contraception.
Par conséquent, il existe depuis quelques années une génération de femmes ayant pris la décision d’arrêter la pilule, allant de pair avec un rapport à la contraception en constante évolution. En 2017, Sabrina Debusquat, journaliste indépendante spécialiste de la santé des femmes, animatrice à Radio France et autrice de plusieurs ouvrages en rapport avec l’arrêt de la pilule et plus largement avec la contraception hormonale féminine, écrivait une tribune dans le Huffington post où on pouvait y lire l’extrait suivant :
« La "génération no pilule" questionne surtout le fait d'avoir à subir les effets secondaires d'un médicament alors que l'on n'est pas malade. Elle remet en question le principe même de "médicaliser" la contraception et refuse l'idée que contraception rime forcément avec risque d'effets secondaires. Elle remet en question le fait que ce soit systématiquement aux femmes de rogner sur leur bien-être pour assumer ce risque. Cette génération considère qu'au-delà des risques de cancer ou d'embolie, voir sa libido diminuée, souffrir de migraines, de mycoses à répétition ou de quelque douleur que ce soit qui gâche de nombreux moments de vie n'est pas « bénin ».1
Face à la mise en avant de cette « génération no pilule » dont parle Sabrina Debusquat et qui est visible notamment sur les réseaux sociaux et dans les discours de certaines militantes féministes, les réactions ont été diverses. Certain.e.s y voient avec crainte un retour en arrière et un détournement de la science au profit de méthodes dites « naturelles », comme le montre une tribune publiée dans Libération par deux gynécologues intitulée « Le retour à la nature, nouvelle soumission des femmes ».2 D’autres, comme Sylvie Braibant, journaliste et autrice, souhaitent rappeler à quel point la légalisation de la pilule en 1967, a été libératrice pour les femmes, « prendre la pilule des années durant peut être vécu comme une contrainte, peut s'avérer inapproprié à certaines femmes, mais pour beaucoup elle reste une alliée de l’émancipation ».3 Qu’elle soit vue comme une entrave à la santé des femmes ou comme une alliée de leur émancipation, la pilule et plus largement la contraception médicale, font partie du quotidien de nombreuses femmes. Pour reprendre l’enquête de Santé publique France réalisée en 20164, la contraception médicale (pilule, implant, stérilet, patch, etc) concerne plus de sept femmes sur dix, et atteint un pourcentage d’utilisation de 71,8%. La pilule reste la méthode contraceptive la plus utilisée, puisqu’elle concerne 36,5% des femmes entre 15 et 49 ans, qui ont recours à une contraception, en 2016. Cependant, si la pilule reste la contraception la plus utilisée en France, il est important de mettre en lumière les conséquences du « scandale de la pilule ». En effet, si certains changements commençaient à être visibles dès 2010, l’année 2012 et l’affaire des pilules de 3ème et 4ème génération reste l’un des éléments déclencheurs de l’apparition d’un nouveau modèle contraceptif ayant renforcé une baisse du recours à la pilule chez les femmes. Selon l’enquête Fécond de 20145, près d’une femme sur cinq déclare avoir changé de méthode de contraception depuis le débat médiatique de 2012-2013. Ainsi, en une dizaine d’années, le recours à la contraception orale a baissé de 14 points (Un point de pourcentage est une unité utilisée pour désigner la différence arithmétique entre deux pourcentages), avec une nette baisse observée en 2012-2013. Ce recul est d’autant plus fort pour les pilules de 3ème et 4ème génération, puisqu’en 2010, sur l’ensemble des personnes qui utilisaient la contraception orale, 40% d’entre elles se voyaient prescrire les pilules de 3ème et 4ème génération. En 2013, cette proportion est passée à 25%, faisant nettement reculer l’utilisation des pilules de dernière génération.
Au-delà de cette désaffection pour les pilules de 3ème et 4ème génération, c’est plus généralement la méthode de contraception orale qui a pâti de cette affaire, souvent au profit d’autres méthodes. Les femmes ont adopté d’autres moyens contraceptifs comme le dispositif intra-utérin (DIU en cuivre ou hormonal), le préservatif ou encore le retrait, permettant d’assouplir un paysage contraceptif jusqu’alors centré sur la pilule.
En conclusion, les récents rapports démontrent une évolution du rapport à la contraception et des attentes qui y sont rattachées. Mes prochains articles chercheront donc, par le biais des recherches déjà produites, à analyser ces récentes évolutions.
- Bajos, Nathalie, et al. « La crise de la pilule en France : vers un nouveau modèle contraceptif ? », Population & Sociétés, vol. 511, no. 5, 2014, pp. 1-4.
- Bajos, N., Bohet, A., Guen, M.L., & Moreau, C. (2012). La contraception en France : nouveau contexte, nouvelles pratiques ? Population and societies, 2012
- De Guibert-Lantoine C., Leridon Henri. La contraception en France : un bilan après 30 ans de libéralisation. In: Population, 53e année, n°4, 1998. pp. 785-811
- Rahib D, Le Guen M, Lydié N, Baromètre santé 2016. « Contraception. Quatre ans après la crise de la pilule, les évolutions se poursuivent », Saint-Maurice: Santé publique France, 2017, 8p.
1 La génération "no pilule" revendique une contraception sans souffrance, non polluante et égalitaire, 10/10/2017, [ en ligne ], consulté le 25/06/2020
2 Elia David et de Kervasdoue Anne, Le retour à la nature, nouvelle soumission des femmes, Libération, 04/06/2018, [ en ligne ], consulté le 26/06/2020
3 Braibant Sylvie, La pilule contraceptive, symbole de la libération des femmes, rejetée par les plus jeunes, TV5Monde, 26/09/2018, [ en ligne ], consulté le 26/06/2020
4 Rahib D, Le Guen M, Lydié N, Baromètre santé 2016. « Contraception. Quatre ans après la crise de la pilule, les évolutions se poursuivent », Saint-Maurice: Santé publique France, 2017, 8p.
5 Bajos, Nathalie, et al. « La crise de la pilule en France : vers un nouveau modèle contraceptif ? », Population & Sociétés, vol. 511, no. 5, 2014, pp. 1-4.
Étudiante en science politique, Université de Lille.
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